P.-O. Léchot: De l’intolérance au compromis

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Titel
De l’intolérance au compromis. La gestion d’une coexistence confessionnelle. Le Landeron, XVIe–XVIIIe siècl


Autor(en)
Léchot, Pierre-Olivier
Reihe
Publications de la Faculté de Théologie de l’Université de Neuchâtel, 26 / Cahiers de l’Institut d’histoire, 9
Erschienen
Sierre 2003: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
186 P.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Bertrand Forclaz

Le Landeron présente la particularité d’être la seule châtellenie du comté de Neuchâtel restée catholique après la Réforme. Cette situation de coexistence confessionnelle, rare dans les territoires romands à l’époque moderne, fait l’objet du remarquable travail de Pierre-Olivier Léchot, issu d’un mémoire de licence. L’auteur étudie les modalités de la coexistence dans la longue durée, de la Réforme jusqu’au milieu du XVIIIe siècle – une périodisation qui lui permet de mettre en évidence les continuités et les ruptures. Dans une solide introduction méthodologique, il explicite sa démarche, inspirée par la micro-histoire, à laquelle il a emprunté en particulier le principe de la contextualisation de l’objet d’étude et celui de la variation des points de vue. Le travail suit deux axes: il s’agit d’une part d’étudier le discours des différents acteurs institutionnels, à savoir les multiples autorités religieuses et politiques impliquées, de l’autre de suivre la gestion de la coexistence dans des domaines spécifiques – cas limites comme les mariages mixtes, statut des institutions religieuses catholiques au Landeron, collaboration entre les autorités des deux confessions.

Le travail suit un ordre chronologique, et chaque chapitre est subdivisé thématiquement. Si cette approche conduit à quelques répétitions, elle permet de problématiser de façon efficace les affaires traitées et de mettre en évidence les changements, ainsi que l’attitude des acteurs impliqués.

Dans le premier chapitre, l’auteur s’intéresse à la genèse du statut particulier du Landeron. Après avoir souligné l’âpreté des luttes religieuses entre 1530 et le milieu du XVIe siècle, ainsi que le rôle de premier plan joué par les cantons alliés par des traités de combourgeoisie – Berne, côté protestant, et Soleure, côté catholique – il met en évidence le principe de «territorialisation de la confession» appliqué au milieu du XVIe siècle, qui consacre le maintien du catholicisme au Landeron et permet une coexistence pacifique. Ce sont les autorités politiques qui sont alors au premier plan, puisqu’elles imposent aux confessions rivales la cohabitation.

Le second chapitre couvre le dernier tiers du XVIe et le XVIIe siècle, une période marquée par de fortes tensions confessionnelles à l’échelle régionale, puisque le comté de Neuchâtel connaît encore des tentatives de recatholicisation de la part de ses souverains, les Orléans-Longueville. Léchot montre l’émergence de la Classe des pasteurs neuchâtelois, qui devient un véritable pouvoir politique, et les fluctuations de son attitude face aux catholiques, qui oscille entre des périodes de désintérêt et un repli défensif lors des crises. Du côté catholique, les pouvoirs locaux landeronnais, s’ils se préoccupent de consolider la foi de leurs sujets, notamment par le biais du recours aux capucins, s’opposent à la Contre-Réforme prônée par leurs alliés catholiques, par prudence. Quant aux autorités politiques neuchâteloises – mais aussi bernoises – elles jouent la carte de la coexistence et pratiquent une politique d’apaisement. Léchot s’intéresse ensuite à la gestion quotidienne de la coexistence, et tout d’abord aux cas limites: si les mariages mixtes sont peu fréquents, ils attirent l’attention des autorités, en particulier de la Classe, qui les combat énergiquement puisqu’ils menacent la territorialité des confessions; l’on observe également quelques cas de «papisme caché», ainsi lorsque des protestants participent à des cérémonies religieuses catholiques – la Classe se montre soucieuse d’éviter le retour des «superstitions» catholiques. L’on aurait cependant tort de n’insister que sur les conflits confessionnels: dans certains domaines, comme ceux de la chasse aux sorcières et de l’administration de la justice, on observe une collaboration entre les représentants des deux confessions, et les autorités politiques s’efforcent d’aplanir les cas litigieux. Le dernier chapitre est consacré à la première moitié du XVIIIe siècle – une période placée sous le signe du changement. L’avènement du régime prussien à Neuchâtel entraîne des transformations majeures: les «Accords Généraux» promulgués en 1707, s’ils consacrent le principe de la territorialité des confessions, font aussi de l’Etat l’autorité suprême en matière religieuse; le roi de Prusse et ses représentants s’efforcent de maintenir la paix confessionnelle, mais aussi de limiter l’intervention des autorités ecclésiastiques dans le domaine politique. Face à ces bouleversements, mais aussi aux amorces de pluralisation religieuse dans le comté – ainsi avec le développement du piétisme – on constate un raidissement de la Classe des pasteurs, qui adopte un conservatisme doctrinal et ecclésiastique strict et redouble de méfiance face aux catholiques. Quant aux autorités landeronnaises, confrontées à l’interventionnisme de leur nouveau souverain, elles se montrent plus vigilantes face aux «infractions» des protestants, par exemple au non-respect des jours fériés. Qu’en est-il des cas limites analysés plus haut? On observe une augmentation des mariages mixtes – alors même qu’ils font l’objet d’une répression accrue par la Classe des pasteurs; d’autres contacts interconfessionnels sont attestés: des protestants recourent occasionnellement au curé catholique, par exemple pour pratiquer des exorcismes – un phénomène apparemment plus fréquent, ou en tout cas plus documenté, qu’au siècle précédent. Face à ces problèmes, les autorités religieuses s’efforcent de maintenir le statu quo.

Dans sa conclusion, Léchot s’interroge sur ce qui a rendu possible la coexistence: les mécanismes institutionnels et l’application du principe de territorialité des confessions en premier lieu, mais aussi une gestion oscillant entre vigilance, quand les frontières confessionnelles sont menacées, et adaptation, en particulier dans le domaine judiciaire – une attitude pragmatique qui est surtout le fait des autorités politiques. Il insiste aussi sur la polarisation des identités confessionnelles provoquée par la coexistence, dont témoigne par exemple la conscience historique de chaque groupe. Il met enfin en évidence la lente distinction entre les domaines d’action des autorités politiques et religieuses qui émerge au cours de l’époque moderne: elle aboutit à l’amorce, au milieu du XVIIIe siècle, de la «privatisation» du religieux.

Il convient de souligner la présentation soignée de l’ouvrage, son iconographie bien choisie, son argumentation claire et le souci constant de contextualisation des résultats. L’un des points forts de l’analyse réside dans la mise en évidence de l’autonomie et du pragmatisme du pouvoir politique par rapport aux autorités religieuses, un élément trop souvent occulté par le paradigme allemand de la confessionnalisation. Le travail est également riche en enseignements sur les modalités institutionnelles de la coexistence, et sur la multiplicité des acteurs impliqués de l’évêque de Lausanne à Leurs Excellences de Berne. Indéniablement, cet élément, en limitant la marge de manoeuvre des différents acteurs, constitue un facteur majeur pour expliquer le succès de la coexistence. L’auteur suit également de près l’argumentaire des acteurs, mais il parvient à s’en distancier par le biais de typologies extrêmement éclairantes. Il est cependant dommage que l’auteur n’ait pas pris en considération les travaux concernant la coexistence confessionnelle en Suisse alémanique – une comparaison avec les Grisons ou la Thurgovie eût été éclairante1. Par ailleurs, une dimension reste occultée: la coexistence vécue. S’il est tout à fait légitime, comme l’a fait l’auteur, de se limiter à la gestion de la coexistence – surtout dans le cadre d’un mémoire de licence – il aurait été possible de poser, à partir des cas limites étudiés, le problème des attitudes individuelles face à la différence confessionnelle – et de leur évolution au fil du temps: l’augmentation des mariages mixtes au XVIIIe siècle est-elle par exemple significative d’un affaiblissement des frontières confessionnelles? De même, peut-on parler de polarisation des identités confessionnelles sans la vérifier au niveau individuel et familial? Il est à souhaiter que d’autres recherches approfondissent ces questions. Ces critiques n’enlèvent rien à la qualité de ce travail, qui constitue une contribution majeure à un sujet d’une actualité brûlante – car, comme l’écrit Léchot en conclusion de son travail, «l’histoire vraie est avant tout celle qui conduit au présent» (p. 161).

1 Cf. ainsi F. Volkland, «Konfessionelle Grenzen zwischen Auflösung und Verhärtung. Bikonfessionelle Gemeinden in der Gemeinen Vogtei Thurgau (CH) des 17. Jahrhunderts», in Historische Anthropologie, 5, 1997, pp. 370–387; R. Head, «Catholics and Protestants in Graubünden: Confessional Discipline and Confessional Identities without an Early Modern State? », in German history, 17, 1999, 3, pp. 321–345.

Citation:
Bertrand Forclaz: Compte rendu de: Léchot, Pierre-Olivier: De l’intolérance au compromis. La gestion d’une coexistence confessionnelle. Le Landeron, XVIe–XVIIIe siècle. Sierre, Editions à la Carte, 2003. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 56 Nr. 4, 2006, pages 477-479.

Redaktion
Veröffentlicht am
17.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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